2014
Le concept de « rapport affectif à la ville » tel qu'il est défini et expérimenté dans cet ouvrage prend comme point de départ l'individu, sa relation intime avec l'espace habité. Si l'on s'intéresse aux valeurs positives ou négatives associées à la ville, un autre point de départ est celui de l'imaginaire collectif, celui des idéologies, des systèmes de croyances, de symboles, de mythes, de valeurs et de signes qui constituent une représentation sociale au sens durkheimien 1 . L'hypothèse à l'origine de la réflexion que nous proposons sur la « ville malaimée » est que dans la relation qu'un individu tisse avec la ville, les deux dimensions, intime et collective, interagissent, la deuxième étant le plus souvent sous-estimée. Notre ambition dans cet article n'est pas d'affronter la difficile question du passage des représentations collectives aux représentations individuelles et réciproquement mais de montrer l'intérêt d'approfondir l'entrée par les représentations idéelles de la ville que nous privilégions pour mettre en dialogue deux manières distinctes d'aborder la même question théorique : comment conceptualiser le passage entre l'idéel, l'affectif et le réel, entre l'imaginaire urbain et les pratiques collectives et individuelles ? En effet, dans la mesure où ces représentations ont une puissance d'effectivité avérée sur la sphère de l'action politique et de la recherche 2 , en approfondir les valeurs 1 « Mais les états de la conscience collective sont d'une autre nature que les états de la conscience individuelle ; ce sont des représentations d'une autre sorte. […] En effet ce que les représentations collectives traduisent c'est la façon dont le groupe se pense dans ses rapports avec les objets qui l'affectent. », Durkheim Émile, Les règles de la méthode sociologique, Paris, Presses universitaires de France, 1937, p. XVII. 2 Salomon Cavin Joëlle, Marchand Bernard (dir.), Antiurbain. Origines et conséquences de l'urbaphobie, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2010. c h a p i t r e 5 2 pourrait favoriser l'identification de leur effet -moins perceptible et analysable -sur les sociétés et les individus. Il nous apparaît que ce type d'approche peut contribuer à clarifier le rapport entre ville aimable et ville durable, le poids de l'idéologie du développement durable sur le rapport affectif à la ville, et les modes d'habiter qui constituent un des objectifs de l'ouvrage. Notre entrée privilégiée dans les représentations sociales de l'urbain est le désamour de la ville 3 qui avait été esquissé dans l'analyse des représentations du rural et de la montée de la représentation de l'anti-ville à partir des années 1970 en France 4 . À l'intérieur de l'appellation générique de « la ville mal-aimée », nous nous intéressons à la sphère collective des idéologies antiurbaines en laissant provisoirement de côté la sphère individuelle du désamour de la ville. Ces sphères, loin de se superposer l'une à l'autre, s'interpénètrent. Les idéologies antiurbaines, synonymes d'urbaphobie ou d'antiurbain pour coller au concept anglosaxon de anti-urbanism 5 , peuvent vraisemblablement influencer la valeur que chaque individu accorde à la ville 6 , mais elles appartiennent à un imaginaire commun, indépendant et englobant pour ainsi dire l'expérience individuelle. Le désamour qu'éprouve un individu pour la ville et/ ou une ville est un complexe mélange entre événements biographiques et imaginaire collectif, mais sans que, pour ce dernier, aient été approfondis la part et les sens de l'idéologie antiurbaine.